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Dans lequel Elric de Melniboné résiste aux tentations des Seigneurs du Chaos

 

 

Elric réfléchissait à la manière subtile dont ces rieurs Seigneurs du Chaos l’avaient capturé. Il n’était apparemment qu’un simple invité et il avait tout le loisir de se promener dans leur Royaume. En fait, il était autant en leur pouvoir que s’ils l’avaient enchaîné, car il ne pouvait échapper à ce dragon volant et ils avaient déjà habilement fait la démonstration de leurs gigantesques capacités en matière de magie, surtout dans le domaine de la métamorphose. Seul celui qui se faisait appeler Werther de Goethe (qui était clairement un dirigeant dans la hiérarchie du Chaos) possédait encore le visage et les vêtements du début de leur rencontre.

Il était évident que ce Royaume n’obéissait à aucune loi naturelle, qu’il se transformait au gré des caprices de ses puissants habitants. Ils étaient capables de le détruire d’un simple souffle et ils en avaient d’ailleurs donné une subtile indication. Comment réussir à échapper à un tel danger ? En invoquant l’aide des Seigneurs de la Loi ? Mais il n’était lié à eux par aucun serment et il ne faisait aucun doute qu’ils le considéraient comme leur ennemi. En revanche, s’il venait à transférer son allégeance à la Loi…

Ces pensées et bien d’autres encore continuaient de l’occuper tandis que ses ravisseurs bavardaient tranquillement dans l’antique Langue Sacrée de Melniboné, qui n’était elle-même qu’une version du langage même du Chaos. Par là aussi ils révélaient leur vraie nature. Il caressait son épée runique en se demandant s’il serait possible d’occire un tel seigneur pour lui voler son énergie, obtenant suffisamment de puissance pour lui permettre de replonger vers sa propre Sphère…

Le seigneur nommé Werther se penchait par-dessus le rebord du bateau-animal.

— Oh, venez voir, Elric. Regardez !

À contrecœur, l’albinos s’approcha de l’endroit où Werther était en observation et tendait le bras.

Tout le paysage n’était qu’une monstrueuse bataille. Des créatures disparates et synthétiques s’entre-déchiraient de leurs énormes dents et griffes. Des êtres informes serpentaient et sautillaient ; des géants, nus en dehors de leurs heaumes et de leurs jambarts, taillaient ces bêtes en pièces avec leurs sabres et leurs haches, mais sans parvenir à prendre le dessus. Flammes et fumée noire flottaient partout. Quant à l’odeur, était-ce la puanteur du sang ?

— Qu’est-ce qui vous manque le plus ? demanda la femme.

Elle appuya son corps tendre contre lui. Il feignit de ne rien remarquer. Il savait ce que la chair magique pouvait dissimuler, chez une sorcière.

— La paix, répondit-il à voix basse. Et la guerre. Car dans la bataille je trouve une sorte de paix…

— Très bien ! applaudit l’évêque Castle. Vous commencez à apprendre nos coutumes. Vous ne tarderez pas à être l’un de nos meilleurs causeurs.

Elric caressa la poignée de Stormbringer dans l’espoir de la sentir s’échauffer et vibrer sous sa main, mais elle resta immobile, impuissante dans le Royaume du Chaos. Il poussa un long soupir.

— Vous êtes donc un aventurier, dans votre propre monde ? demanda le duc de Queens.

Il était saisissant. Sa barbe était devenue noire et ordinaire, et il portait un costume écarlate ; un pourpoint rembourré, un caleçon collant, une fraise bleu et blanc, et un chapeau à plumes.

— Moi aussi, je suis une sorte d’errant, continua-t-il. Dans la mesure du possible en ce lieu, bien entendu. Disons que je suis une sorte de boucanier. Que mes actes sont en général plus hardis que ceux de mes congénères. Plus spectaculaires. Plus vulgaires. Comme vous, monsieur. J’admire vraiment votre costume.

Elric savait que ce duc de l’Enfer faisait allusion au fait qu’il arborait ce costume de Barbare du Midi, qu’il ne portait point les couleurs plus discrètes, les soieries et les métaux plus habilement travaillés de son propre peuple. Il riposta du tac au tac.

— Merci, messire. Vos habits rivalisent avec les miens.

— Vous trouvez ?

Le seigneur de l’Enfer feignit le plaisir. Si Elric avait été moins informé, il eût dit que cet individu était gonflé de fierté.

— Regardez ! s’écria de nouveau Werther. Regardez, seigneur Elric… on nous attaque !

Elric fit volte-face.

De la terre s’élevaient des vaisseaux bizarrement façonnés… un peu comme des navires, mais dotés d’énormes roues sur les côtés, tels les engrenages des clepsydres qu’il avait jadis aperçues en Pikarayd. Une fumée colorée jaillissait de cheminées montées sur leurs ponts qui grouillaient d’immenses oiseaux vêtus de costumes humains. Leurs plumages étaient multicolores, ils avaient le bec crochu et tenaient des épées dans leurs griffes, tandis que leurs têtes étaient surmontées de chapeaux aux formes étranges sur lesquels flamboyaient des têtes de morts avec des os entrecroisés.

— Déguerpissez ! grinçaient les oiseaux. Sinon, nous vous transpercerons de nos traits !

— De quoi peut-il bien s’agir ? s’écria l’évêque Castle.

— Des perroquets, répondit simplement Werther de Goethe. Aussi connus sous le nom de faucons des mers. Et leurs intentions ne sont guère aimables.

Maîtresse Christia cligna les yeux.

— Vous ne voulez pas dire des pirates, mon cher ?

Elric étreignit plus fort son épée. Certains des mots qu’employaient les Seigneurs du Chaos ne signifiaient strictement rien. Mais que les attaquants fussent le fruit de leur imagination ou de vrais ennemis, Elric se préparait à livrer une bataille sans merci. Son moral remonta. Du moins s’agissait-il de quelque chose de physique à combattre.

Elric à la fin des temps
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